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De l'autonomie des « universités d'innovation » en Inde à l'achèvement de la privatisation du système éducatif

18 Août 2012 , Rédigé par JC Paris XV Publié dans #Solidarité internationale

DEL_1_170437f.jpgDe l'autonomie des « universités d'innovation » en Inde à l'achèvement de la privatisation du système éducatif

 

 

Article AC pour http://jeunescommunistes-paris15.over-blog.com/

 

 

Quatre ans après la loi LRU en France prévoyant l'autonomie des universités, qui avait suscité une forte mobilisation étudiante, l'Inde montre l'exemple terrifiant d'un système déjà largement privatisé, utilisant le levier de l'autonomie pour achever la marchandisation de l'éducation.

 

Le gouvernement de Manmohan Singh, leader du Parti du Congrès et père des réformes ultra-libérales des années 1990, vient en effet de proposer en mai 2012 un projet de loi sur « Les universités pour la recherche et l'innovation » qui devraient transformer la plupart des universités publiques ou semi-publiques performantes en universités « autonomes » ouvertes au privé.

 

Avant d'aller plus loin dans l'étude du projet de loi, il convient de rappeler l'état délétère de l'éducation en Inde.

 

Une éducation privatisée et une école à deux vitesses

 

270 millions, c'est le nombre d'analphabètes que compte l'Inde, soit un tiers des analphabètes de la planète.

 

Certes l'héritage féodal réactionnaire puis colonial est lourd, mais c'est aussi la fermeture de la brève parenthèse progressiste post-décolonisation et l'adoption des politiques libérales qui ont creusé les inégalités du système éducatif. En effet, 25% des jeunes de 15 à 24 ans sont encore aujourd'hui illettrés.

 

Dès le primaire, l'école indienne est à deux vitesses : avec une forte minorité d'écoles privées (20%) réservée à l'élite sociale, et une majorité d'écoles publiques sous-équipées, bondées (50% des classes comptent plus de 50 élèves), aux enseignants sous-payés et mal formés.

 

Une école primaire publique dont sont tout de même privés 26 millions d'enfants indiens, tandis qu'un enfant scolarisé en primaire sur deux n'accèdent pas à l'éducation secondaire, contraints au travail. Des chiffres aggravés dans les zones rurales et tribales, ainsi que dans les couches inférieures de la société, en particulier dans la caste des « intouchables ».

 

De facto, l'Inde est, loin devant le Chili ou les États-Unis, le pays où l'éducation est la plus privatisée. 55% des enfants en milieu urbain fréquentent une école privée, 27% dans l'ensemble du pays.

 

C'est dans ce contexte d'une éducation privatisée, inégalitaire et en faillite sur ses objectifs humains fondamentaux que se dessine une éducation supérieure largement élitiste (10% d'une génération accède à l'université), et où le privé occupe une place de premier choix.

 

Achever la privatisation de l'enseignement supérieur par la constitution de « pôles de compétitivité » privés

 

Si deux-tiers des établissements d'éducation supérieure sont privés, comme au Chili, ce sont pourtant les universités publiques qui ont meilleure réputation que les établissements privés ou semi-privés.

 

  • La vingtaine d'universités centrales – l'Université de Delhi, l'Universiré Jawaharlal Nehru parmi les plus prestigieuses – sont considérées comme les meilleurs établissements du pays, institués et financés par le gouvernement central. Elles sont complétées par plus de 200 universités d'état, de proximité, créées par les États fédérés;

 

  • Les universités privées souffrent au contraire d'une piteuse réputation. Une centaine d'établissements privés bénéficient néanmoins du statut dit de « deemed universities », se voyant concéder par l’État, outre une autonomie financière et programmatique, un certificat de « quasi-université » par l’État ;

 

  • Les Instituts, de technologie, de sciences ou de management, institués par l’État mais se voyant concéder une autonomie totale, leur permettant de lever des fonds privés dans un partenariat public-privé. Une formule proche des « grandes écoles » françaises pour une trentaine d'instituts qui, comme l'Institut des sciences de Bangalore, sont censés représenter les pôles d'excellence du système universitaire indien ;

 

A noter que le premier cycle universitaire est assuré par plusieurs milliers de « colleges », les trois-quarts d'entre eux privés mais grassement subventionnés par l’État – hormis les élitistes « collèges professionnels » (ingéniérie, médecine). Les colleges ne jouissent toutefois, hormis une minorité de « collèges autonomes », d'une faible autonomie.

 

C'est dans ce contexte d'une éducation supérieure déjà largement libéralisée et privatisée que s'insère le dernier projet de loi gouvernemental « Bill for universities for research and innovation », destiné à autoriser la constitution de « pôles de recherche et d'innovation », à l'autonomie organisationnelle totale, sur la base d'un partenariat public-privé.

 

L'idée est de remplacer les actuelles grandes universités publiques et instituts publics semi-publics par des « pôles de compétitivité » pouvant mobiliser des fonds privés considérables. Des « pôles » issus du système universitaire public gagnés par la logique du privé ou des « pôles » issus des universités privés, qui obtiennent alors un label d'élite concédé par l’État.

 

Dans les deux cas, au nom de la compétitivité mondiale et avec l'autonomie comme levier, il s'agit d'achever la privatisation de l'enseignement supérieur indien, d'une part en transformant les universités publiques par des partenariats public-privé, d'autre part en réhabilitant les universités privées.

 

Les communistes indiens dénoncent un nouveau pas vers la marchandisation de l'enseignement supérieur

 

Face au consensus dominant entre le parti nationaliste du BJP et le parti social-libéral du Congrès, seuls les communistes ont porté une opposition politique conséquente, dans la rue et dans le parlement, à ce projet de loi.

 

Ils dénoncent:

 

  1. Une autonomie financière – avec possibilité de lever des fonds privés, d'imposer des frais d'inscription à sa discrétion – fera de ces pôles des établissements privés lucratifs;

 

  1. Le pouvoir suprême reviendra à un Conseil d'administration dont la majorité des directeurs seront nommés par les investisseurs privés. Un CA composé d'aucun représentant de l’État et de seulement un tiers de membres du corps professoral et administratif de l'université. Ils décideront de la nomination des professeurs, de la structure des cours, et des choix budgétaires;

 

  1. Des universités privées, sans comptes à rendre en termes de qualité éducative et d'exigence de service public, mais qui continueront à être subventionnées par l’État. L’État accordera des terrains à prix cassés, des subventions pour des projets de recherche et des bourses pour les étudiants méritants mais financées par le public;

 

 

Selon le dirigeant communiste indien Vijendar Sharma:

 

« Les libertés considérables concédées à ces universités, comme les différences de traitement entre enseignants et les disparités en termes de frais d'inscription, créeront un précédent pour les autres établissements d'éducation supérieure dans le pays qui exigeront une telle liberté. Cette liberté ne fera qu'aider les promoteurs privés, les grandes entreprises et les universités étrangères à profiter des disposition de ce projet de loi. (…)

 

Avec cette liberté sans bornes, l'autonomie complète pour les conseils d'administration et l'absence de contrôle de la part du gouvernement central sur les universités d'innovation, ce projet de loi propose une alternative au projet de loi sur les Foreign Educational Institutions (FEI) de 2010, pour que les universités étrangères et des acteurs privés établissent leurs campus en Inde. Elles n'auront plus besoin d'acquérir le statut (décrié) de deemed universities. Cette alternative va leur donner plus de pouvoir, de liberté et de prestige, avec la levée de la plupart des restrictions imposées dans le projet de loi FEI. Seuls les prédateurs profiteront de ce projet de loi, pas le peuple Indien. »

 

Le sort de l'éducation en Inde, les luttes des étudiants et des professeurs au Brésil, au Québec, au Chili pour défendre une éducation publique en péril rappellent que l'éducation publique, gratuite et universelle n'est pas un acquis intangible, c'est un combat.

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